Au printemps 2001, une marche sur Mexico est organisée par le mouvement zapatiste dont l’objectif est la prise en compte des droits et de la culture indigène par le gouvernement mexicain. À l’appel du sous-commandant Marcos, des sympathisants de tous pays forment un convoi d’une cinquantaine de véhicules et partent pour trois semaines de voyage à travers le Mexique. Parmi eux, la trompettiste d’une fanfare parisienne, le Front Musical d’Intervention, a pris sa caméra.
LE FILM
Sylvie Kahane, à bord de l’un de ces autobus, témoigne de l’aventure. Son film est une fenêtre ouverte sur cette mouvance populaire qui vient nous parler de terre, de différence, de tolérance et de combativité.
CE QU’EN DIT... LA RÉALISATRICE
Comment est venue l’idée de partir au Mexique pour participer à la marche zapatiste et pour la filmer ?
Le véritable facteur déclenchant a été la lettre du sous-commandant Marcos qui invitait le FMI (Front Musical d’Intervention) [1] à participer à la marche zapatiste. Cette lettre est arrivée en janvier, on nous en a parlé à la fin d’une répétition. Au sein du FMI, les avis étaient partagés, cela ne faisait pas vraiment l’unanimité. L’échéance se rapprochait, il a fallu décider très vite. Nous nous sommes retrouvés à partir à sept, chacun de son côté.
Rappelle-nous ce qu’est le FMI ?
C’est un groupe d’intervention musicale politique qui existe depuis 4 ans. Le projet de base est d’appuyer une cause. C’est aller aux manifestations d’une façon différente et leur donner une énergie supplémentaire, avec ce qu’on sait apporter. En général, on se déplace localement, on ne va jamais très loin. Nous n’avons jamais su comment le sous-commandant Marcos avait entendu parler de nous.
Comment s’est passé le voyage ?
Les difficultés
Nous avons eu beaucoup d’ ennuis mécaniques les premiers jours, des pannes et même des chauffeurs ont disparu avec le bus (dont le nôtre). Cela a été difficile à gérer, certains ont abandonné à ce moment-là mais nous, nous voulions absolument continuer et il fallait trouver le bus dans lequel on allait faire l’étape ! Pour un départ à 6h par exemple, cela voulait dire se réveiller à 4h pour trouver le bus ! De plus, les étapes étaient très longues, il fallait attendre pour tout : la douche, les toilettes, le téléphone, les timbres...
Les rencontres
Le curé Tarciccio, avec nous dans le bus, qui parle de la “théologie de la libération”.
L’engagement sacerdotal et l’engagement militant ne sont pas en contradiction au Mexique et dans d’autres pays d’Amérique Centrale. Dans ses messes, Tarciccio parle aussi de peuple et de victoire, au son du marimba.
Nous sommes aussi restés en contact avec Daniel le jeune étudiant, qui s’exprime dans le film. Des Français rencontrés sur la marche sont venus après au FMI. Outre la sympathie qui nous liait, Tarciccio et Daniel nous ont aidés en nous présentant, et en nous indiquant où nous pouvions jouer.
Le sous-commandant Marcos
Nous avons constaté qu’ il existe à son sujet un phénomène de “marcosmania”. Il y a Jésus, le Che et Marcos en exagérant un peu ! Cela ne plaît pas à tout le monde, des Occidentaux sont déçus par cet aspect de lui. Mais il représente un mouvement très populaire, qui dépasse le Mexique. Il ne commence jamais à parler sans saluer les personnes à qui il s’adresse : « Bonjour les frères et les soeurs, bonjour les sympathisants internationaux », etc... Il s’adresse aux intellectuels, aux artistes, aux femmes au foyer, aux handicapés, il casse les catégories, il sort de la langue de bois révolutionnaire habituelle. Il accorde une grande importance aux problèmes des femmes. Par exemple, dans la délégation des 24 commandants, elles étaient 4 femmes. Et c’est la commandante Esther qui a fait le discours au Congrès de l’Union à Mexico. C’est une véritable volonté politique d’inclure dans le mouvement zapatiste les femmes et leurs revendications. (voir la loi révolutionnaire des femmes de 1993).
Moments forts
Les sympathisants sur le bord de la route qui acclamaient la caravane et qui disaient “Merci”. Une foule composée de jeunes, de femmes, d’hommes, d’enfants, de personnes très âgées. Je me souviens de vieillards qui pleuraient. La caravane a peut être provoqué chez eux le retour d’émotions enfouies, lorsqu’ils étaient enfants, ou adolescents, au moment ou Zapata vivait, et a été assassiné... ? J’ai le souvenir d’une densité d’émotions très fortes chez tous ces gens.
Lorsque le Front Musical d’intervention joue. Nous sommes cinq instrumentistes du FMI à avoir joué la-bas. Nous avons été heureux et fiers de jouer l’hymne zapatiste, lors du Congrès National Indigène. Nous avons aussi joué à Tepotzlan (une journée ou laissant un peu le bus, nous avons pu nous accorder le temps d’une vraie répétition), à l’UNAM (Université de Mexico), et un matin très tôt, nous avons joué juste avant le discours des commandants. C’était toujours des moments très intenses.
L’arrivée à San Christobal Las Casas le soir très tard, où je vois un gamin avec un passe-montagne. Et le départ très tôt le matin, dans la brume... San Christobal est une ville très ancienne, chargée d’une histoire particulière dans la lutte et la résistance des indiens.
As-tu atteint ton objectif de départ ?
Mon objectif s’est fait au fur et à mesure, d’autant plus que le film a été réalisé sans soutien financier. J’ai fini le montage en février 2002. Sur le contenu, je me suis posé beaucoup de questions. J’ai voulu donner des repères et inscrire cet évènement dans une perspective. Il fallait que ce travail puisse intéresser les zapatistes. Le film m’a permis d’approfondir ce qui a été vécu là-bas, de creuser ce qui n’a pas pu l’être, faute de temps, sur le moment.
Que t’a apporté cette expérience ?
D’un point de vue personnel, cela a été comme un révélateur. L’identité, la double appartenance, indigène et mexicaine, sont au coeur des revendications zapatistes. J’ai été amenée à me situer française et juive, moi qui ne suis ni croyante, ni vraiment concernée par ma judéité. D’autre part, j’ai un regret : celui de ne pas avoir pu utiliser les enregistrements sonores qui comprennent, entre autres, d’autres discours et d’autres voix.
FICHE TECHNIQUE
Réalisation, montage, image, son : Sylvie KAHANE
Traduction et adaptation : Guénola FRANCOIS
Conformation : Vincent GOULET et Saci OURABAH
Production : La CATHODE - Roland MOREAU
POUR PROLONGER LE FILM
SIPAZ, Service International pour la Paix
Comité de solidarité avec les peules du Chiapas en lutte
Marcos marche sur Mexico, un article d’Ignacio Ramonet, dans Le Monde Diplomatique, mars 2001