LES RENDEZ-VOUS DU DOCUMENTAIRE ENGAGÉ
Projection-débat organisée par POLITIS et VOIR&AGIR
Mercredi 19 décembre à 20h
Centre Culturel/Cinéma de La Clef
21 rue de la Clef 75005 PARIS
M° Censier-Daubenton
SOUS SURVEILLANCE
Un film de Didier CROS
2010, 65 mn
Il n’y a pas de détenu sans surveillant.
Durant plusieurs mois, Didier Cros a observé et filmé le quotidien de trois surveillants du centre de détention de Châteaudun et, par ricochet, celui des détenus.
En faisant de leur bureau, la scène principale du film, le documentariste se place au coeur de l’institution dont il dévoile les duretés et les impasses.
Par l’attention qu’il porte à ces oubliés de la question carcérale, il fait tomber les lieux communs sur cette profession et engage une magistrale réflexion sur l’utilité de l’enfermement.
La projection sera suivie d’un débat animé par Antoine GIRARD avec Didier CROS, réalisateur du film, et Georges BENGUIGUI, Directeur de recherche honoraire au CNRS.
Libre participation aux frais.
Sous surveillance a reçu le Fipa d’argent, catégorie Grands reportages, à Biarritz en 2012. Le film a été produit par Ladybirds Films.
Sous surveillance (extrait) par telerama
Didier Cros est également l’auteur de La gueule de l’emploi.
Un message de Didier CROS à la suite de la diffusion de Sous surveillance sur France 2, en juin 2012, avec lequel Voir&Agir est totalement en phase.
Suite à la diffusion de Sous surveillance, je tenais à vous faire part des très nombreux retours, dont certains très inattendus. Je profite de cette occasion, si vous le permettez, pour vous livrer quelques réflexions autour de ce genre documentaire qui nous tient tous tant à cœur.
J’ai reçu des dizaines de témoignages de surveillants, de détenus, et de familles de détenus rencontrés tout au long du tournage et de la préparation de ce film. Avec Sous surveillance, c’est une profession tout entière qui se sent réhabilitée dans sa fonction. Bien au-delà des personnages du film, des surveillants - travaillant dans d’autres prisons que celle où a été réalisé ce film - m’ont également témoigné leur sympathie. Des détenus, dont j’avais perdu la trace, m’ont contacté pour me dire combien un film comme celui-là était précieux à leurs yeux. D’autres ont tenu à me dire qu’ils étaient réinsérés, qu’ils avaient enfin obtenu un CDI après des mois d’errance, qu’ils venaient de se marier, ou encore qu’ils attendaient un enfant. Antoine, l’un des surveillants du film, m’a également dit que le film avait ouvert le dialogue entre détenus et surveillants, et que le débat se prolongeait depuis au cœur même de la détention...
On pourrait penser que ce genre de témoignages relève de l’exception. En réalité, il n’en est rien. Lorsque nous échangeons entre auteurs, il apparaît clairement que la plupart des films laissent dans leur sillage les traces durables de leur passage. Les documentaires sont bien souvent le fruit d’un travail long et complexe. Et c’est bien ce temps passé et la quantité de difficultés surmontées qui offrent, entre autres, sa spécificité au genre. En libérant la parole de ceux qui participent aux films, ils encouragent la réflexion de ceux qui l’écoute. Les documentaires interrogent le monde et questionnent le spectateur en retour. Ils motivent la parole et l’échange. Non seulement les films activent le débat démocratique, mais ils créent du lien. Ils participent intégralement d’une dynamique culturelle et sociale au sens le plus basique, donc le plus noble du terme. Les documentaires sont tout simplement utiles. Et cette utilité-là est bien difficile à lire dans les courbes d’audience et les évaluations statistiques.
Certes, les films n’existent qu’à la seule condition d’être vu, c’est une évidence. Mais, leur impact ne se mesure pas uniquement selon des critères d’audience le jour de la diffusion. Comme les œuvres de fiction, ils s’inscrivent dans le temps. Ils bénéficient du bouche-à-oreille sur la durée, et vivent souvent longtemps encore après leur passage à l’antenne. Pour exemple, j’ai récemment noté avec une grande surprise que Gendarmes, mode d’emploi, film de 2005 co-produit avec FRANCE 2, était encore recherché sur le net par de nombreux internautes. D’ailleurs, ce film est également visible en six parties distinctes sur YouTube à ce jour...
Si les films documentaires sont systématiquement téléchargés illégalement sur le net, ce n’est pas par hasard. À l’exception des œuvres de fiction, existe-t-il d’autres programmes télévisuels piratés avec autant d’insistance ? Aucun. Trouve-t-on sur Internet les jeux télévisés et les magazines d’informations de l’année dernière ? Impossible.
C’est bien là le signe manifeste d’un intérêt concret et constant pour un genre pourtant souvent considéré à tort, comme difficile.
Le rôle culturel et social des films n’est pas estimable avec précision, mais les nouveaux médias nous offrent aujourd’hui la possibilité d’approcher leur
impact véritable comme jamais auparavant.
Il suffit de parcourir un instant les forums et les blogs pour se faire une idée de leur résonance. Aussi c’est certainement sur ces nouveaux territoires que le succès d’un film s’évalue à sa juste mesure. A ce titre, c’est aux réseaux sociaux que l’on doit la certitude de l’impressionnante vague de réactions et du très large débat sur la question du travail provoqué par La gueule de l’emploi.
Que dire aussi de l’impact éducatif de ce film, comme de tant d’autres.
Pour information, La gueule de l’emploi est désormais au programme de facultés américaines et canadiennes. Il fait l’objet de cours à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales et l’Éducation Nationale en fera peut-être prochainement l’acquisition pour le présenter dans les lycées et les facultés. J’ai personnellement accompagné ce film ainsi que Sous surveillance lors de nombreuses projections publiques et scolaires, et des débats sont régulièrement organisés dans toute la France depuis leur diffusion. C’est tout cela aussi l’existence et la portée d’un documentaire.
À la télévision, une image chasse l’autre, ce n’est pas une nouveauté. Pourtant force est de constater que les documentaires résistent malgré tout à cette logique du flux continu.
Le documentaire est un genre "fragile" dit-on souvent pour mieux dissimuler l’embarras qu’il engendre auprès de certains. Et bien raison de plus pour le soutenir.
À genre particulier, approche particulière. À mon sens, ce constat renforce la réelle nécessité pour les documentaires, d’être considérés différemment de la plupart des autres programmes télévisuels. Que ce soit dans les choix de production, de financement, de programmation et de promotion des récents support de diffusion (Replay, VOD, etc...).
En conclusion, permettez-moi de vous faire part de l’émotion de l’un des surveillants, personnage central de Sous surveillance, au lendemain de la diffusion du film :
"Toutes les cellules étaient connectées sur FRANCE 2, ce soir là (il y a 600 détenus au Centre de Détention de Châteaudun). Après la diffusion, les détenus ont tambouriné sur les portes pendant 40 minutes ...", m’a-t-il confié, sidéré qu’un simple documentaire puisse provoquer une réaction aussi massive, aussi forte, aussi immédiate. Malheureusement, il n’existe pas de boîtier Médiamétrique dans les prisons françaises !!!
Produire des films documentaires n’est pas seulement l’une des missions du service public, c’est aussi son honneur.
Lorsque votre soutenez des films abordant des thématiques délicates, et usant de formes cinématographiques très éloignées des standards habituels, cet honneur c’est aussi le vôtre.
Bien à vous tous,
Didier Cros
Voir également l’article des Incrocks : Sous surveillance, la prison vue par les gardiens .
Voir enfin le site de Laurent Mucchielli, Délinquance, justice et autres questions de société, site de ressources documentaires et d’analyse critique animé par un réseau de chercheurs en sciences sociales.